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1 février 2013 5 01 /02 /février /2013 13:31

 

 

Ce dossier éducatif à base de cheveux sales et d'entités interdimensionelles se veut un humble complément aux articles de Sexpress consacrés aux films d'exorcisme.           

 

 

Elle vomit des pois chiches, parle l’araméen en verlan, fait valser le mobilier, se tord le cou comme une chouette, dort à un mètre vingt au-dessus des couvertures, fait dangereusement baisser la clim, a les stigmates qui suppurent du souffre, bref: elle transpire la mauvaise hygiène de quelqu’un qui aurait une entité démoniaque babylonienne à l’intérieur du corps.

 

Elle :

 

La possession au cinéma est une affaire de femmes – précisémment: de filles. Difficile de se souvenir d’un personnage de garçon hanté par Belzebuth, quand les Carrie, Regan et autre dérivées abominables prolifèrent dans les fictions. Chemise de nuit, cheveux gras, contorsions et télékinésie à gogo : il s’agit toujours de la même silhouette féminine qui hante nos écrans depuis des décennies.

 

C’est à la fin des années 70 que Carol J. Clover situe l’âge d’or de ce sous-genre horrifique qu’elle nomme « film de l’occulte » : un corpus puissamment inquiété par les rapports de sexes. Les films de l’occulte font l’objet d’un chapitre entier de son livre Men, Woman and Chainsaws : Gender in the Modern Film, ouvrage fameux publié en 1992, devenu un incontournable de la feminist film theory.

 

 

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Féminisme et tronçonneuses : un must read pour tous les cultural fuckers. 

 

 

 

Les années 70 marquent le début d’une crise sans repos pour la masculinité blanche américaine. La montée en puissance des mouvements féministes et la visibilité grandissante des existences queer fragilisent une virilité traditionnelle jusqu’alors confortablement avachie sur ses privilèges. Le genre horrifique ayant toujours puisé des formes et des histoires dans les rapports de sexe, pas étonnant qu’il se soit inquiété de cette virilité en crise, en interrogeant ce que la masculinité se devait d’être ou ne pas être. Le genre occulte rassemble des histoires d’envoutements, d’entités surnaturelles, de prêtres et de sorciers, souvent mis en opposition à un ordre scientifique et médical devenu insuffisant. « Occulte » devant s’entendre ici au sens de dissimulé, d’un intérêt pour ce que le corps des femmes dissimule. Un genre très féminin donc, mais seulement en apparence : Clover note que c’est toujours d’hommes dont l’histoire se préoccupe au final. Qu’un film mette en scène un corps féminin de façon spectaculaire et hyper-visible comme dans l’Exorciste ne signifie pas qu’il s’y intéresse en tant que personnage, voir en tant qu’individu à part entière. L’Exorciste, comme son nom l’indique, est d’abord un film sur un homme aux prises avec un corps féminin possédé empiétant furieusement sur les frontières du genre. Les conflits intérieurs du père Karras ne sont pas le résultat de sa confrontation avec Regan/Pazuzu, mais précisément l’inverse : c’est sa masculinité en crise qui requiert la possession d’un corps féminin pour se résoudre et se redéfinir. Quand un film de l’occulte s’achève, le personnage féminin possédé revient toujours à sa situation initiale, souvent dans un état d’amnésie. Le personnage masculin est quant à lui profondément redéfini par cette expérience – à  condition qu’il y survive.

 

 

L'Exorciste: c'est l'histoire d'un mec...

 

 

 

A  l’image du slasher qui reconfigure la féminité sur des territoires traditionnellement masculins (figure de la final girl, la battante qui défait le Mal), le film de possession reconfigure la masculinité sur des territoires traditionnellement féminins. Open Up !! Let Me In !! Laisse-moi rentrer ! susurre Lucifer à l’oreille des hommes malades de leur virilité… « L’homme qui assimile son anti-sentimentalité à son déni de l’anus est précisément celui à qui le film de l’occulte s’adresse. » affirme Clover, non sans coquinerie.

 

 

 

9782070725991-1-.jpg « Nouvelles recherches sur l’influence de diverses hormones sur l’utérus masculin »

 

  

Pour Clover, le film de l’occulte renvoi à un système sexe/genre pré-freudien dans lequel la différence sexuelle féminine était pensée non pas en termes d’absence (de penis) mais de présence (intérieure). Les appareils reproducteurs mâle et femelle étaient alors perçus comme le même ensemble d’organes et de fonctions, tantôt externe, tantôt interne. Thomas Laqueur nomme « modèle unisexe » (one-sexe model)  cette façon radicalement autre qu’avaient les pré-modernes de penser et fabriquer la Différence des Sexes. Jusqu’au XVIIIème siècle, le vagin était ainsi décrit et représenté comme un pénis retourné à l’intérieur du corps façon chaussette (si vous me permettez l’expression).

 

 

Coulante, fuyante ou inondée : la possédée est un éternel chauffe-eau déglingué.

 (Witches Of Eastwick - 1987 ; Prince of Darkness - 1987).

 

 

 

Cette figure conceptuelle héritée d’Aristote informait le monde perçu d’une façon radicalement différente du notre ; mais il n’en était pas moins oppressif envers les femmes. Le corps féminin était conçu en rapport au corps masculin, comme son dérivé imparfait, sa variante « retournée », froide et malade. Dans le modèle unisexe, le sexe biologique existe toujours comme l’effet ou l’expression des conventions sociales (masculines et féminines) inscrites dans un ordre supérieure: le sexe est la conséquence du genre. Hommes et femmes existent  dans un même continuum tendu entre le chaud et le froid, le ferme et le mou, le sain et le malsain. Cette construction intellectuelle survit dans nos récits et nos représentations populaires ; tout particulièrement dans le genre fantastique et horrifique (voir l’oeuvre de Cronenberg).

 

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Cronenberg, auteur des troutrous mal placés (Videodrome – 1983)

   

 

Le genre occulte réactiverait ce système de pensée pré-moderne en s’attardant sur les indices, les signes, les stigmates, en grattant les traces de ce qui est caché, de ce qui travaille à l’intérieur du corps.

 

 

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Actif à l'intérieur et ça se voit à l'extérieur.

 

 

La spécificité du film de l’occulte est de proposer un modèle unisexe inversé : c’est à partir du corps féminin que le corps masculin va être mis en forme et raconté. Un contre-pied total à la différencedessexes selon Freud, qui prend comme corps-référent le corps masculin, avec comme fiction structurante le Drame de la Castration. Dans le film de l’occulte, la psyché et la corporéité masculine sont énoncées selon une partition féminine : celle de l’intériorité, de l’enfoui, des innerspaces. Le héros masculin sort vainqueur du film dans la mesure où il accepte voir cultive son intériorité, sa capacité à être envahi, à être pris. Le film de l’occulte tend à rejeter une forme de masculinité d’ordinaire célébrée par le cinéma mainstream : c’est là sa politique ; son audace pourrait-on dire. Mais cela se fait au prix de la « monstrification » du corps féminin : il n’a jamais été question d’égalité, mais bien d’une guerre de territoires où les frontières du sexe son renégociées. Le film de l’occulte est un sous-genre où la représentation des femmes reste offensante et oppressive. Les rares exemples de possession masculine dans la fiction en disent souvent plus long sur les bouleversements d’une masculinité donnée.

 

 

 

La suite:

 

 

Part Two: Homo-exorcisme

    

 

  Part Three: Virilité Déglinguée

 

 

  Filmographie

 
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