On a beau le connaître par cœur, le reconnaître de partout, le consommer sous n’importe quelle forme, l’imprimer sur des sacs ou y foutre des ventouses, l’univers de Tim Burton ne souffre pourtant aucune concurrence ni aucun équivalent en 2012. Depuis ses débuts au cinéma avec Pee Wee, Burton se transforme sans jamais se perdre, et il reste le seul (à un Hellboy 2 près) à savoir mettre en forme la différence, en tant qu’expérience vécue.
Cinémathèque pour enfants pédés, les films de Burton sont d’une puissance consolatrice sans égale : 12 blogs ne suffiraient pas à exprimer tout ce que le final de Beetlejuice m’a apporté comme réconfort étant gamin. Winona en lévitation sur du Belafonte et on sait qu’on sera toujours chez nous dans cet univers. Dire que ces films m’ont influencé est un euphémisme : ils m’ont puissamment construit, et sont au fondement d’absolument tout ce que je sais et comprends du monde ; tragique, salopé, festif et dégueulasse. Il y a tout chez Burton : le Magicien d’Oz de Flemming, le Freaks de Browning, les contes de Grimm et de bien belles musiques.
Rien qu’un scène : Selina Kyle devient Catwoman. C’est la meilleure scène du monde, qu’on soit bien clair là-dessus, mais c’est aussi un sommet de cinéma purement fantastique (avec Cat People. Comme quoi!) Tout est là, bordel : c’est une scène de monstre, de sorcière, de super-héros et de magie noire. Personne n’a envie de voir des films comme les Batman de Nolan, ils sont à chier, du cinéma « adulte » au sens autoritaire et dominant du terme. Les films de Burton ne confisquent rien, ils sont à l’écoute de tout et de tout le monde. Voir Batman : le Défi à 11 ans et en sortir rapiécé, guérit de tout ; cousu, décousu, recousu, comme tout ses personnages. La force du cinéma de Burton est une force réparatrice, celle de la réinvention de soi, des douleurs sublimées et de l’existence faite art.
Les femmes n’ont jamais eu de rôles très heureux chez Burton. Elles ont même tendance à partir en petits morceaux, littéralement, quand elles ne se décomposent pas vivantes. Un motif récurant que l’on retrouve une fois de plus dans Dark Shadows, sous une forme parfaitement sublime. Misogyne, le cinéma de Burton? Pas totalement, voir pas du tout en fait. On a d'un coté une mécanique de film d'horreur, plus psychologique qu'organique, qui privilégie le corps féminin comme défouloir émotionnel (ce qu'on retrouve parfaitement chez le cinéastre d'horreur Lars Von Trier), de l'autre une façon de les immortaliser, de les monter en puissance: le dernier plan de Batman Returns est dédié à Catwoman. C'est son film. Le cinéma de Burton est riche de personnages féminins drôles, intelligents, cyniques, et sa capacité à reprogrammer les codes de la masculinité n'est plus à démontrer (Johnny Depp, quoi).
Dark Shadows est trop long, plutôt chiant et pas super drôle. Pourtant, et sans qu’on s’y attende, les 10 dernières minutes vous foutent par terre, vous attrapent et vous fument : on croit le film fini et voilà qu’on le redécouvre intégralement comme une variation camp sur le thème de Sweeney Todd. Passé une heure à serrer les fesses entre des blagues vues 15 000 fois (« un sarrasin dans une chariote du diable » ) et un rythme à coté de la plaque, on est vite séduit par cette fausse comédie déchargeant sa bizarrerie par à-coups (le perso de Bonham Carter, inoubliable). Âmes errantes, alcooliques, mélancoliques, les forces tragiques du film ne cessent d’enfler avant de nous péter à la gueule.
On sait Depp féru de comédie franchouillarde (la Soupe aux Choux faisant irruption dans Charlie et la Chocolaterie) et Burton n’a jamais caché ses influences européennes. C’est dit tel quel par Barnabas quand il pénètre dans son manoir : un parfait alliage des styles Vieux Continent et Nouveau monde. Si Dark Shadows évoque parfois le Ozon de Sitcom, c’est Potiche qui semble convoqué ici : rapports de classe, conflits entre vieilles et nouvelles valeurs, reconstitution campy des 70’s façon France Gall VS les Carpenters. Mais ces thèmes y sont traités de façon très différentes.
- Spoilers -
La sorcière, d’abord : il y a d’une part la misogynie (très Ozon dans le style) avec laquelle le personnage est croqué (la bitch en cabriolet, vénale, machiavélique: à peu de choses près, Cruella), et de l’autre, sa présence filmique sidérante ; on ne voit qu’elle, du début à la fin. Quant au vampire, il incarne des valeurs réacs et périmées mais aussi une nouvelle forme de marginalité, du genre alien. Les victoriens pro-life seraient-ils les nouveaux weirdos de Burton? La solution est ailleurs, précisément dans le final. Du soap grinçant, on bascule en plein dark opéra 100% premier degrés où chaque personnage trouve sa forme ultime. Des icones classiques, légendaires ou fééeriques, rassemblées dans la possibilité d'une famille plus forte. La promesse d'une revanche en note finale finit de nous foutre en l'air de joie. UNE SUITE PUTAIN!!